Bonne nouvelle, Cassandre

Quand la mythologie grecque résonne avec le monde d’aujourd’hui

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Par Manon Desportes
1 sept. · 7 mn à lire
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Les trois frères (et sœurs)

Allons enfants de la Fratrie, tous les déboires seront pour l'aîné.e

C’est la rentrée ! Et si vous en profitiez pour vous abonner à cette lettre qui, avouez-le, est le seul email que vous avez reçu avec joie aujourd’hui ? C’est peut-être un détail pour vous (2€ par mois !) mais pour moi, ça veut dire beaucoup !


C’est l’été, les neurones dans le transat. Le temps de l’amour, des copains, mais surtout des pages people “ils sont comme nous” feuilletées au Relay de la gare de Lyon. Alors que la rentrée nous menace, je vous propose une lettre qui se nourrit tout autant de Paris Match que de Jean-Pierre Vernant. Une lettre sans autre prétention que celle de vous faire oublier que demain, il faudra reprendre son cartable. 

Et pour réussir cette mission, j’ai une famille en ligne de mire. Une fratrie qui cultive un don pour la rancune depuis quelques années maintenant. Je ne parle ni des Hallyday, ni de la famille royale britannique, mais bien des Delon, nom de nom ! Alors que le patriarche vient à peine d’être enterré (sans son chien, fort heureusement gardé en vie), les yeux se tournent vers ses trois enfants : Anthony, l'aîné maltraité, Anouchka, la chouchoute et Alain-Fabien, l’oublié. Car s’ils arrivaient déjà à se traîner dans la boue avec panache avant la mort de leur père, de quoi seront-ils capables à l’heure des rendez-vous chez le notaire ? 

Autant le dire, je n’ai absolument aucun espoir de réconciliation pour ces trois là. Mais pour éviter le pire, je n’ai qu’un seul conseil pour Anthony, Anouchka et Alain-Fabien : se plonger dans les mythes grecs, bien entendu !

Figurez-vous que la mythologie regorge d'histoires de frères et de sœurs qui s’aiment et s’entraident parfois bien au-delà du raisonnable. À l’heure où la romance monopolise les récits et les écrans, je suggère de réintroduire dans nos imaginaires ces histoires de fratries capables de tout (et parfois n’importe quoi) pour se prouver leur amour. Nous commencerons par mes jumeaux préférés : Artémis et Apollon puis nous irons faire un tour chez les terribles sœurs Procné ​​et Philomèle. 

Le soleil a rendez-vous avez la lune, et la lune est bien là 

Pour Artémis et Apollon, tout commence sur les chapeaux de roue. Après l’accouchement rocambolesque de sa fille Artémis sur l’île de Délos à seulement sept mois de grossesse, Léto, enceinte de jumeaux, n’a plus la force de continuer. Abandonnée par la terre toute entière, sur son petit cailloux au milieu de la mer Égée, elle désespère. Mais c’est une sage femme pas comme les autres qui vient lui porter assistance : sa propre fille Artémis, née quelques instants auparavant ! Ainsi démarre une relation fraternelle aussi loyale que complémentaire. 

Artémis et Apollon tuant les enfants de Niobé, J. Charbonnier

Pour Apollon, le soleil, pour Artémis, la lune. Le chant pour lui, la chasse pour elle. Voilà pour les oppositions. Mais une chose les rassemble : ils sont tous deux, c’est peu de le dire, très malchanceux en amour. D’ailleurs, ni l’une ni l’autre ne se mariera, et ce n’est probablement pas un hasard…

Apollon, le dieu-poète, a le cœur sensible mais ses histoires d’amour finissent mal, en général. Enfin, surtout pour celles et ceux qui ont eu le malheur de lui taper dans l'œil. Il y a Daphné, qui préfère se métamorphoser en laurier plutôt que de lui céder mais aussi Hyacinthe, le bel éphèbe de Laconie tué par un disque détourné par le vent Zéphir, jaloux de son idylle naissante avec le plus beau des dieux. 

De son côté, Artémis se détourne très vite des choses de l’amour. Elle en fait l’annonce à son père Zeus à seulement trois ans : quand son papa gaga lui propose de lui offrir le cadeau de son choix, elle exige, entre autres choses, une éternelle virginité. Zeus, aux anges, s'exécute aussitôt. 

Une fois, une seule fois, Artémis a été proche de trouver un homme à son goût. Mais pour son frère Apollon, c’était une fois de trop…

Chasse, pêche, nature et trahisons 

Cet homme, c’est le plus bel homme vivant, tout simplement : Orion. Très à l’aise dans l’eau, l’héritage de son père Poséidon, comme sur la Terre, qu’il parcourt avec son arc et ses flèches, héritées de sa mère la Créroise Euryalé, tout, absolument tout lui réussit. 

Facile, trop facile la vie pour Orion ? Peut-être, car en Béotie, le jeune homme s’illustre surtout par sa grande frustration lorsqu’il n’obtient pas ce qu’il veut…

Or ce qu’il veut, c’est Méropé, fille d’Œnopion, lui-même fils de Dionysos. Père et fille vivent reclus sur l’île de Chios, dévastée par des hordes de bêtes sauvages. Quand Œnopion découvre le prétendant, ce n’est pas sa stupéfiante beauté qui attire son regard mais son arc et ses flèches. Et si l’amoureux était leur sauveur ? Tu auras ma fille, lui dit-il, à condition que tu nous débarrasses de tous les dangereux fauves qui prolifèrent sur notre île. Orion ne demande pas mieux que de faire ses preuves, qui plus est à travers une discipline dans laquelle il excelle. Sans attendre, il se met à la tâche et bientôt il dépose aux pieds de sa promise des peaux de bêtes par dizaines. 

Mais alors qu’il porte fièrement la toute dernière fourrure à Œnopion, ce dernier le somme de continuer sa chasse. L’île, affirme-t-il, grouille encore de créatures indésirables ! Orion fulmine. Pourquoi retardes-tu cette union que j’attends avec tant d’impatience ? 

Oh, ce n’est pas qu’Orion lui déplaît plus qu’un autre. Non, c’est qu’étant amoureux de sa propre fille, il compte la garder toute à lui. Inceste et peaux de bête, nous voici dans un véritable Peau d’âne antique !

Orion comprend la supercherie. Héroïquement, il décide donc de s’en prendre à la fille pour se venger du père. Il force la chambre de Méropé et la viole. 

Œnopion court demander de l’aide à son père Dionysos qui lui envoie ses aussi fidèles qu’ivrognes compagnons, les satyres. Le jour se lève à Chios mais il est toujours l’heure de l’apéro quelque part dans le monde et les satyres font boire Orion, qui ne se doute de rien, jusqu’à ce qu’il tombe dans un profond sommeil. Hors d’état de nuire, Œnopion lui crève les yeux et le jette sur le rivage.

Aveugle, Orion tâtonne sur la plage jusqu’à trouver une barque et file droit devant. Il navigue des jours, des semaines, des mois jusqu’à arriver à l’extrémité de la Terre. Ici, aux confins du monde, il fait la rencontre d’Éos, déesse de l’aurore. Devant elle, s’avance un naufragé épuisé, le visage recouvert de sang. Il est loin, très loin le beau chasseur de Béotie. Attendrie par cet homme en perdition qui semble avoir tant souffert, Éos recueille Orion, le soigne et le lave. Bientôt, il retrouve un peu de son éclat d’antan. La déesse, ravie de sa trouvaille, console le jeune homme éploré par la perte de ses yeux, l’entoure de tendresse, tant et si bien qu’au petit matin, c’est un Orion nu comme au premier jour qui se trouve dans son lit. Vite ! Elle doit justement prévenir les dieux de l’arrivée d’Hélios, le soleil. Intrigué par ce retard inhabituel de l’aurore, Apollon passe devant les fenêtres de la déesse et surprend les amants. D’ailleurs, depuis ce jour, tous les matins, Éos rosit de cette indiscrétion.

Son devoir matinal accomplit, la déesse court voir son frère, Hélios, et l’implore de rendre la vue à son nouvel amoureux. Bien mal lui en prit car la vue retrouvée, Orion s’empresse de faire ses adieux à Éos. Comme j’aimerais rester à tes côtés, lui dit-il, mais je dois accomplir mon destin et me venger d’Œnopion.

Or Œnopion, courageux mais pas téméraire, se cache. Alors Orion commence ses recherches par la Crète, terre aux milles grottes et gorges. Au cours de l’une de ses explorations, il tombe nez à nez avec Artémis. La plus grande de toutes les chasseuses qui l’observe depuis quelques jours tirer son arc. A-t-elle, pour la première fois, rencontré un homme à sa hauteur ? Sur les hautes plaines, Orion et Artémis courent le gibier et au contact de la déesse, le jeune homme s’adoucit. Un soir, alongé.e.s devant le sublime ciel étoilé crétois, Artémis l’interroge : pourquoi empoisonnes-tu ton coeur de vengeance quand tu pourrais vivre comme moi, de chasse et d’eau fraiche ? Orion, désarmé, verse une larme. Tu as raison déesse, ma vie est désormais la tienne mais accepteras-tu de la partager, toi, Artémis la sauvage ? 

Diane et Orion de Johann Heinrich Tischbein

Depuis son char, Apollon observe d’un mauvais oeil cette amitié naissante. Il sait avec quelle facilité, malgré ses yeux crevés, Orion a charmé Éos. Parviendra-t-il à séduire sa sœur ? Le dieu n’ose y croire. Il connait Artémis mieux que personne. Elle ne chérit que sa liberté et exècre les hommes ! Mais Apollon doute et c’est déjà trop. Il se précipite voir la Terre-mère et lui rapporte une fanfaronnerie d’Orion : le Béotien se vante d’avoir tué toutes les bêtes sauvages de la Terre ! Vraiment, dit-elle ? Un monstrueux scorpion géant jaillit alors du sol et attaque le jeune homme. Les flèches d’Orion rebondissent contre sa carapace et il comprend que le combat sur terre est perdu d’avance. Il plonge dans la mer, son élément, pour semer l’atroce créature. 

Au même instant, Apollon vient trouver Artémis : chère sœur, vois-tu ce point qui s’éloigne du rivage ? Il s’agit du néfaste Candaon, qui vient de séduire l’une de tes prêtresses. Je mets au défi ta flèche de l’atteindre avant la mienne, comme lors de nos jeux d’enfants, à Délos !

Artémis, amusée, arme son arc et vise. Juste, bien sûr. Ce n’est que lorsqu’Orion coule au fond de la mer Méditerranée qu’Apollon lui indique que Candaon est le surnom que l’on donne à un jeune homme en Béotie, un homme qu’elle connait bien : Orion. 

Horrifiée, elle court implorer l’aide de son neveu Asclépios, le fils d’Apollon et lui demande de le ressusciter. Mais à peine Orion reprend vie que Zeus, qui ne goûte guère à cette nouvelle concurrence masculine, le foudroie.

Artémis place alors Orion parmi les étoiles, éternellement poursuivit par un scorpion… 

Diane auprès du cadavre d'Orion, Daniel Seiter

Pourtant, Artémis continue, mythe après mythe, à venir en aide à son frère qui a le don de s’attaquer à plus fort que lui, à commencer par le serpent Python qui terrorisait leur mère, ou bien à l’assister dans ses plus basses besognes, comme quand frère et sœur tuent tous les enfants de Niobé, qui a eu le tort de s’être vantée d’avoir eu plus d’enfants que Leto, leur mère. Elle s’engage aussi dans la guerre de Troie, par solidarité pour ce frère un peu encombrant, certes, mais qu’elle ne peut s’empêcher d’aimer et de protéger. 

Ce lien fusionnel qui unit les jumeaux de Délos n’est pas un cas unique dans la mythologie. Une autre fratrie m’a longtemps fasciné : il s’agit des sœurs Procné et Philomèle dont le mythe, aussi sanglant que captivant, démontre le pouvoir immense de la sororité. 

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