Bonne nouvelle, Cassandre

Quand la mythologie grecque résonne avec le monde d’aujourd’hui

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Par Manon Desportes
30 juin · 5 mn à lire
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Aux portes, citoyens !

Toc toc toc, qui est là ?

C’était le 12 juin dernier.

Nous sommes juste derrière l’Assemblée Nationale, place Bourbon quand une grande porte bleue se ferme.

Capture d’écran de BFM TV, le 12 juinCapture d’écran de BFM TV, le 12 juin

Cette porte est celle du siège du parti Les Républicains. 

Ce mercredi 12 juin, la France n’a pas le cœur à rire. Pourtant, quand un homme en costard bleu marine s’enferme dans son bureau, interdisant l’accès à ses adversaires politiques de rentrer, il crée l’appel d’air qu’il nous fallait. La digue de l’anxiété cède, le rire envahit internet, proposant à la pelle des parodies de ce moment burlesque. 

Alors que j’observe les membres de LR, qui avaient entre-temps retrouvé un double des clés, pousser difficilement la lourde porte, je m'émerveille de la puissance symbolique de cette scène.

Capture d’écran de l’émission Quotidien, sur TMC le 12 juinCapture d’écran de l’émission Quotidien, sur TMC le 12 juin

Mon patronyme aidant, je comprends qu’il me faut tirer ce fil. La mythologie grecque me viendra-t-elle en aide pour comprendre pourquoi une simple porte bleue a éclipsé, entre autres, la conférence de presse du président de la République, qui avait lieu au même moment ? 

Une porte, Desportes, je m’emporte

À première vue, la figure de la porte se fait discrète dans les mythes grecs. Contrairement à la mythologie égyptienne qui lui consacre tout un texte sacré, Le Livre des Portes, ou à la Bible et sa porte du Paradis, nos antiques semblent déambuler dans un monde aéré et sans frontières. 

D’ailleurs, les temples grecs n’ont-ils pas comme caractéristique principale d’être ouverts, délimités seulement par des colonnades ? 

Oui, les portes se font rares, mais (sans vouloir enfoncer une porte ouverte) ce qui est rare est précieux. D’ailleurs pas un mais trois dieux comptent le mot “porte” dans un de leurs épithètes : 

Il y a d’abord Hadèsaux portes bien closes” car une fois franchit le seuil de son royaume des Enfers, nul retour en arrière n’est possible. Enfin, en théorie, comme nous le verrons un peu plus tard…

Dans une version bien plus terre à terre, on trouve Apollon Prostatérios, celui qui se tient devant. Car le bel Apollon passe la majorité de son temps entouré de… bétail, et c’est cette qualité de dieu des pâtres (grecs ou pas), qui lui vaut cette épithète. Sous le pseudo Agyieus, il veille sur les maisons athéniennes et les bonnes familles n’oublient pas de placer un autel à son effigie devant leur porte. 

Enfin, Hermès est quant à lui qualifié de Propylaios, celui situé devant la porte, pour une raison aussi farfelue que réjouissante, empruntée à un épisode du mythe d’Io : Argos, le géant aux cent yeux, est missionné par Héra pour surveiller Io quand Hermès arrive, lui fracasse la tête à l’aide d’une grosse pierre et livre la prisonnière à Zeus. Les divinités de l’Olympe, contrariées par la brutalité du meurtre le convoquent. Mais Hermès, parodiant Shakespeare, les implore : Don't shoot the messenger (ne tuez pas le messager) ! Bien obligées de reconnaître qu’il serait injuste de punir Hermès pour un crime commandité par Zeus, Héra et consorts se contentent de jeter leurs tablettes à ses pieds, comme nous le raconte Pascal Dibie dans son Ethnologie de la porte. Désormais, devant Hermès s’amoncelle un tas de pierres. C’est peu commode pour quelqu’un qui aime autant voyager. Alors le dieu déplace les pierres une à une sur les côtés, créant un chemin. Un penchant pour la délimitation qui l’intronise comme protecteur de l’enceinte de la maison. Comble du chic, une statue d’Hermès Propylaios se trouve à l’entrée de l’acropole d’Athènes. Une réputation de protecteur des maisons bien imméritée à mon avis puisque les lecteurs et lectrices assidu.e.s de cette lettre savent qu’il est surtout le roi des voleurs. Mais les dieux et déesses s'embarrassent assez peu de ce genre de contradictions. 


Voici pour les dieux ! En ce qui concerne les mythes, si les portes sont discrètes, celles qui existent sont en revanche lourdes de sens. En ce jour d'élection, vous découvrirez que ce thème résonne avec une éloquence très actuelle.

The Doors 

Il est temps de nous plonger dans l’histoire de la Porte de Corne et la Porte d’Ivoire, et leur rôle dans l’épopée d’Énée aux Enfers, puis dans celle des mythiques Portes Scées, inviolables, jusqu’à l’arrivée d’un dénommé Ulysse…

Celles qui révèlent notre vraie nature : la porte de corne et la porte d’ivoire


Une certaine Pénélope, sur l’île d’Ithaque, fait le récit de son rêve à un mendiant de passage et lui demande son aide pour l’interpréter. Ce mendiant n’est autre que son mari Ulysse déguisé, parti depuis plus de vingt ans et enfin de retour. Dans ce songe, Pénélope observe ses oies picorer des graines dans la cour de son palais quand un immense faucon les attaque. Une par une, il les déchire de ses griffes avant de repartir. Pénélope n’a pas le temps de venir constater les dégâts que le rapace est de retour. Cette fois, il s’adresse directement à la reine : je suis ton mari, lui dit-il. Ces oies sont les prétendants qui osent se présenter à ton palais. Bientôt, je serai de retour pour tous les anéantir. 

Voilà un rêve éloquent, répond Ulysse qui boit du petit lait. Mais Pénélope se méfie car il existe selon elle deux types de songes : ceux qui pour sortir du royaume des Songes, situé aux Enfers, passent par la Porte de Corne sont prophétiques tandis que ceux qui passent par la Porte d’Ivoire ne sont que mensonges. 

La version très personnelle des retrouvailles d'Ulysse et Pénélope par le caricaturiste Honoré Daumier, au début du XIXèmeLa version très personnelle des retrouvailles d'Ulysse et Pénélope par le caricaturiste Honoré Daumier, au début du XIXème

Dans l’Odyssée, Homère en reste là. Ce qui n’empêchera pas à cette histoire de corne et d’ivoire de connaître une grande postérité : chez Virgile et ses commentateurs, nous le verrons, mais aussi dans toute la tragédie grecque du Vème siècle avant JC où les mauvaises interprétations des rêves sont une source intarissable de rebondissements. 

Mais pourquoi la corne ? Pourquoi l’ivoire ?

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