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C’est un collier de perles qui s’est invité dans nos fils d’actu.
Un collier double rang autour du cou de celle qui sera, peut-être, présidente des États-Unis dans quelques jours : Kamala Harris. Un bijou ou plutôt un message politique, un symbole de ralliement à sa famille de cœur, la sororité Alpha Kappa Alpha (AKA) de l’université de Howard dont elle a fait partie dans les années 1980. Alpha Kappa Alpha ? Oui, les fraternités et sororités, ces asso qui règnent sur la vie étudiante des facs états-uniennes, s’appellent toutes avec des lettres grecques, extérieur intello pour des organisations qui se contentent le plus souvent d’organiser de très, très grosses soirées... Le plus souvent car AKA n’est pas une sororité comme les autres. En tant que toute première sororité noire, AKA a de grandes ambitions. À tel point qu’elle est devenue un cercle de pouvoir puissant, capable de fédérer ses membres, parfois illustres comme la poète Maya Angelou ou la romancière Toni Morrison. Alors quand Kamala Harris s’affiche avec des perles, vingt précisément en référence aux vingt fondatrices de sa sororité, c’est à toute la communauté de AKA et plus largement à toutes les sororités noires qu’elle adresse un message. Message reçu 5 sur 5 pour ces centaines de “soeurs” ultra-impliquées dans sa campagne, n’hésitant pas à multiplier les donations de précisément 19,08$, comme l’année où AKA a été fondée.
Tout ça pour un collier de perles ? Oui, car les bijoux portent des symboles. Symboles le plus souvent péjoratifs, il faut l’admettre : vanité excessive ou penchant pour les choses matérielles, on ne prête que peu de vertus à celles qui ont fait des diamants leurs meilleurs amis. Alors quand j’ai entendu cette histoire de collier de perles, un matin sur France Inter, j’ai souri. Enfin ! Un collier pour une communauté de femmes brillantes qui se soutiennent, un collier comme engagement politique, un collier qui nous aide au lieu de nous planter.
Et j’ai repensé au collier d’Harmonie, mythique malédiction thébaine qui a inspiré tant de mythes modernes, de l’anneau de Tolkien au médaillon de Serpentard dans Harry Potter. Décidément, les bijoux qui corrompent semblent fasciner l’humanité. Car pour une fois, la mythologie ne nous montre pas la voie, bien au contraire. C’est elle la coupable d’avoir introduit un préjugé si négatif sur nos bijoux préférés. Rassurez-vous, cette mauvaise manie s’arrête aujourd’hui !
Mais pour nous défaire de nos idées reçues, il faut revenir au commencement.
Le collier de la discorde
Tout commence lors du plus grand mariage de tous les temps entre Cadmos, prince phénicien et frère d’Europe, et Harmonie, fille d’Aphrodite et d’Arès. Enfin non. Pour comprendre comment on arrive à ce mariage, rembobinons encore un peu jusque dans le lit de la plus belle des déesses, Aphrodite.
La sublime peinture murale représentant Aphrodite, à Pompéi
Ce jour-là, et comme tous les jours, la déesse attend que son mari Héphaïstos quitte le domicile familial pour accueillir son amant, le dieu à la beauté inversement proportionnelle à son charisme : Arès. Vous connaissez la suite, ils sont dénoncés par Hélios et tombent, littéralement, dans le filet d’Héphaistos avant d’être ridiculisés devant toutes les divinités de l’Olympe. Ce jour-là fut conçue la déesse Harmonie.
Des années plus tard, Aphrodite vient trouver son forgeron de mari pour lui demander de réaliser un bijou. L’occasion est belle : elle veut l’offrir à sa fille Harmonie qui se marie. Quand Héphaïstos réalise qu’Aphrodite ose lui demander un cadeau pour cette fille d’un autre père, il est hors de lui. Il faut dire, Héphaïstos tient de sa mère Héra un sacré talent pour la rancune. “À partir de maintenant, c'est moi qui récompense et c'est moi qui punis” aurait-il pu marmonner dans sa barbe. Il crée alors un sublime collier en or auquel il donne un pouvoir immense : il confère à celle qui le porte une beauté irrésistible. Mais le collier cache surtout une terrible malédiction. Aphrodite, ravie de pouvoir offrir à sa fille un si beau cadeau, se rend le cœur léger en Béotie.
C’est dans la maison de Cadmos que les noces sont célébrées, à l’endroit où s’élèvera bientôt la citadelle de Thèbes. À ce moment du récit, Cadmos vient de passer huit ans en esclavage auprès d’Arès pour expier une faute tout à fait accidentelle : il a tué le dragon de Castalie que le dieu aimait beaucoup. Et pour compenser cette punition bien exagérée, Zeus offre au courageux mortel la main de l'immortelle Harmonie. Les dieux, vous le savez, aiment souffler le chaud et le froid.
Cadmus combattant le dragon de Hendrick Goltzius, entre 1573 and 1617
Un mariage et de nombreux enterrements
Ce mariage, c’est sa récompense. Fini la galère, à moi l’ivresse du nectar divin, pense-t-il naïvement.
Un mariage en très bonne compagnie puisque pour la toute première fois, les douze dieux et déesses de l’Olympe se réunissent pour le célébrer. Comme pour le mariage de Thétis et Pélée, c’est aussi l’occasion pour nos Olympiens de faire la démonstration de leur pouvoir. Athéna, la première, se lève pour offrir son cadeau aux jeunes mariés : une robe brodée d’or qui confère à celle qui la porte une démarche divine. Puis vient le tour d’Hermès, qui présente une lyre aux notes célestes. Enfin, Aphrodite dévoile le fameux collier. Un murmure d’excitation parcourt l’assemblée, la déesse est très heureuse de son effet.
Hélas, le collier d’Harmonie porte en lui la rancœur d’un mari ! Il condamne chaque personne l’ayant en sa possession à une terrible fin. D’ailleurs, son histoire s’entremêle avec celle de Thèbes, cette cité maudite, scène de tant de tragédies.
Pourtant, les premières décennies du règne de Cadmos et Harmonie coulent comme un long fleuve tranquille sur les plaines fertiles de Béotie. La reine cajole leurs six enfants, quatre filles (Ino, Sémélé, Autonoé et Agavé) et deux garçons (Illyrios et Polydore) pendant que les esclaves construisent la sublime acropole de Thèbes. Les céréales poussent avec la complicité de Déméter et la cité acquiert la réputation d’élever les plus beaux chevaux et de former les plus vaillants soldats de tout le monde grec. Un succès total pour Cadmos l’oriental, ce roi d’Asie mineure qui avait tout à prouver.
Mais sa véritable réussite, c’est sa fille Agavé. Sa petite dernière, sa chouchoute. Pour elle, il ne veut que le meilleur. Alors il lui choisit comme mari le courageux spartiate Échion avec qui elle a un fils, Penthée. Fils qui conquiert immédiatement le cœur de son grand-père. Une adoration qui (contre toute attente) perdure même à l’adolescence et jusqu’à l’âge adulte. Un matin, Cadmos découvre ses premiers cheveux blancs et comprend que sa décision est prise : il quitte Thèbes et laisse les clés du pouvoir à son petit-fils Penthée, ignorant superbement ses deux fils Illyrios et Polydore par la même occasion !
Harmonie qui n’a pas pris une ride se résout à suivre son mari, avec un léger pincement au cœur. En faisant ses bagages, elle repense à ce collier, offert il y a si longtemps par son illustre maman. Bien trop occupée par mes six enfants, je n’en ai pas tellement profité, se dit-elle. Ou étais-je simplement trop heureuse pour m’en soucier ? Alors que son mari n’a eu d’attentions que pour leur benjamine Agavé, elle, c’est leur petit Polydore qui a toujours eu ses faveurs. C’est donc à lui qu’elle transmet le cadeau empoisonné…
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