Petit préambule avant de commencer. Comme la précédente, cette lettre possède une partie gratuite et une partie payante. Cela me permet d’y consacrer du temps. Je remercie donc toutes celles et ceux qui se sont déjà abonné.e.s.
Avec la formule gratuite, vous avez accès à la moitié de cette lettre, en l'occurrence le mythe d’Europe.
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Le fin mot de l’histoire sur pourquoi l’Europe s’appelle Europe avec notamment le mythe d’Io qui rentre dans la danse
Des vaches, encore des vaches , toujours des vaches
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Bonne lecture à toutes et tous !
Depuis quelques semaines dans mon poste de radio, chaque matin, on ne parle que d’elle. Certains en ont besoin, d’autres la veulent plus forte ou et j’entends aussi qu’il faudrait la réveiller. D’ici peu, nos votes auraient même le pouvoir de la changer.
Elle, c’est Europe.
Mais qui es-tu Europe ? Et d’où vient ton nom ?
Autant vous le dire tout de suite, il y a peu de chance que vous quittiez cette lettre avec les idées claires. Car Europe brouille les pistes. D’ailleurs, linguistes, ethnologues, hellénistes ou mythographes qui ont essayé de répondre à la question de l’origine de son nom ne sont parvenu.e.s qu’à un seul résultat : s’engueuler.
Mais pas question de baisser les bras, menons l’enquête ensemble.
À la recherche d’Europe perdue
Hypothèse la plus connue : Le nom du continent vient d’Europe, une princesse enlevée par Zeus.
Une princesse de Phénicie plus précisément, où se trouve le Liban actuel. C’est la petite dernière du roi Agénor et de la reine Téléphassa. Une fille tant désirée par ses parents qui arrive après cinq garçons : Cadmos, Phoenix, Cilix, Thasos et Phinée. Europe est aussi douce que ses frères sont turbulents. Sa passion ? Les fleurs ! Ça tombe bien, nous sommes au mois de mai et la nature resplendit. Europe part avec ses amies sur le rivage de Tyr pour tresser des couronnes de fleurs.
Zeus, du haut de l’Olympe, surveille la jeune fille depuis un moment déjà. Alors quand elle s’éloigne du palais, il ne résiste pas. Le dieu prend l’apparence d’un grand taureau blanc dont les petites cornes sont séparées par une large bande noire. Europe regarde l’animal s’approcher, d’abord craintive puis curieuse. L’animal est doux et inhabituellement amical. Elle décore sa tête de fleurs et lui grimpe même sur les épaules. Le taureau rentre lentement dans la mer, Europe rit quand ses pieds touchent l’eau salée de la Méditerranée. Mais le taureau s’enfonce de plus en plus et bientôt il se met à nager trop vite pour que la princesse ait eu le temps de s’échapper. Elle se tourne avec terreur vers ses amies, qui disparaissent au loin et s’agrippe aux cornes de l’animal qui déjà, arrive de l’autre côté du rivage.
Sculpture en porcelaine de Giovanni Volpato à la fin du XVIIIème siècle représentant Europe et Zeus Interlude histoire de l’art : Si l’histoire d’Europe passionne pour des raisons géopolitiques évidentes, c’est pour une toute autre raison qu’elle a beaucoup intéressé les sculpteurs antiques : la règle voulait que les personnages mythologiques féminins n'étaient pas représentés nus. Or, Europe est immergée dans dans de l’eau, parfaite excuse pour utiliser la technique du “drapé mouillé” qui laisse voir le corps en transparence !
Reprenons notre récit.
Quand elle touche de nouveau la terre ferme, sur la belle île de Crète, Europe a toujours son panier de fleurs dans la main. Elle observe ses fleurs, symbole de sa vie perdue et quand elle relève la tête, ce n’est plus un taureau qui est devant elle mais Zeus, dans sa forme humaine. Sans perdre un instant, le roi des dieux viole la pauvre Europe. Un viol très fécond car trois garçons naissent bientôt : Minos, Rhadamante puis Sarpédon. Mais Zeus a d’autres chats à élever alors il lui trouve un mari, le roi Astérion, et la quitte aussi vite qu’il l’a enlevée.
De l’autre côté de la Méditerranée, son père Agénor est désespéré : il n’avait qu’une seule fille et la voilà disparue. Il envoie ses cinq fils à sa recherche et les prévient : nul besoin de revenir sans elle !
Phoenix part d’abord vers l’ouest, jusqu’à Carthage avant de revenir sur ses pas et donner son nom à la région qui l’a vu naître : la Phénicie. Cilix, lui, part vers le nord, il arrive au sud de l’actuelle Turquie et, ne trouvant pas sa sœur, il s’y installe. Il lui donne son nom et fonde la province de Cilicie. Devant le fiasco des expériences terrestres de ses frères, Thasos explore la mer Égée et découvre au nord une belle île toute ronde et surtout remplie d’or. Il oublie vite sa sœur pour s’y établir. Cette pépite s'appellera désormais Thasos, comme lui. Phinée, le petit dernier atterrit dans la péninsule qui sépare la mer de Marmara et la mer Noire, là où se trouve l’actuel détroit du Bosphore. Le pauvre n’a pas fait le bon choix, il y sera tourmenté par les harpies. D’ailleurs, contrairement à ses frères, la région ne portera pas son nom.
L’aîné, Cadmos, est plus malin et décide avant de se lancer, d’aller demander conseil. Il se rend à Delphes pour consulter l’oracle. Mais une fois de plus, la mission tourne en eau de boudin. La pythie lui annonce qu’il doit renoncer à retrouver sa sœur car son destin est tout autre : il va fonder une nouvelle ville, promise à un grand destin. Pour cela, il lui suffit de suivre la première vache qu’il trouvera et de fonder la cité à l’endroit où elle se reposera. Justement, un berger passe au loin. Une de ses vaches retient l’attention de Cadmos, elle possède deux pleines lunes sur les flancs. De Delphes, elle prend la direction de l’est, traverse la Béotie et se laisse finalement tomber au centre d’une vaste plaine. C’est l’emplacement de la future Thèbes.
Enfin Manon, cette histoire de princesse phénicienne et de ses frères, quel rapport avec notre Europe ?
Ben, pas tellement justement, et c’est tout le problème. D’ailleurs, Hérodote était de votre avis :
“Il est certain que cette Europe était originaire d’Asie et qu’elle ne vint jamais dans le pays que les Grecs appellent Europe actuellement” Hérodote, Histoires, IV.45, traduction de P. Legrand, 1949
Les Grecs en question, ceux du Vème siècle avant JC, ne considèrent en effet pas la Crète comme faisant partie de l’Europe, qui est la région continentale au nord de la Méditerranée.
Mais tout de même, on se doit de noter l’aspect géographique, central dans ce mythe. On parle même d’un mythe toponymique puisque les frères d’Europe donnent leur nom aux régions qu’ils visitent.
Est-ce suffisant pour attribuer le nom d’Europe à tout un continent, même si son mythe ne s’y déroule pas ?
L’enlèvement d’Europe par le peintre symboliste français Émile-René Ménard (1915)
Voici les théories qui dominent actuellement le débat sur l’origine d’Europe. Commençons par donner la parole à ceux qui affirment que le nom du continent n’a tout simplement aucun rapport avec le mythe !
Les théories les plus anti-mythes :
Au XVIIème siècle, une nouvelle hypothèse apparaît : et si le terme Europe avait une origine sémitique ? En effet, dans certaines langues sémitiques comme l’hébreu, le mot ereb signifie le couchant, en opposition avec assou le levant, qui aurait donné le mot Asie. L’Europe serait l’occident, l’endroit de la Terre où se couche le soleil. Hypothèse alléchante, hélas, elle est aujourd’hui rejetée par de nombreux linguistes.
Bien plus tard, au début du XXème, les hellénistes entrent dans la danse : c’est du côté, d’après eux, de l’adjectif eurus, qui signifie large, qu’il faut chercher. Est-ce que les marins grecs, quand ils apercevaient cette grande bande de terre au nord se disaient “que cette terre est large” ? Il faudrait le leur demander.
Mais, bien entendu, ce sont les analyses mythologiques qui ont ma préférence. Et, quelle chance, elles sont nombreuses !
La théorie la plus audacieuse (mais aussi la plus réjouissante) :
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