Deux petites choses avant de commencer :
Cette lettre possède une partie gratuite et une partie payante. Alors si vous aimez me lire, abonnez-vous (2€/mois ou 20€/an) pour me permettre d’y consacrer du temps ! Dans la partie payante, je vous raconte une version peu connue de l’origine de la Guerre de Troie et vous découvrirez, enfin, s’il y a oui ou non un lien entre les mots “satire” et “satyre”.
Depuis que j’envoie cette lettre avec Kessel, vous êtes plus nombreux et nombreuses à me lire (merci !!) mais vous me répondez moins qu’avant. Que vous soyez abonné avec la version gratuite ou payante, pensez à me donner votre avis en répondant à ce mail, j’adore vous lire.
« A-t-on perdu le sens de l’humour satirique ou Guillaume Meurice est-il allé trop loin ? » Ainsi commence l’article du journal Le Monde du 15 mai dernier consacré à la fameuse “affaire Meurice”.
Mais a-t-on déjà eu le sens de l’humour satirique ? Nous, je ne sais pas. Mais les Romains de l’Antiquité, très certainement ! Car c’est sous la république Romaine en déclin, vers le IIème siècle avant JC que la satire devient un art à part entière grâce au poète Lucilius ou au savant Varron. Puis Horace et Sénèque reprennent le flambeau, alors que l’on passe de l’avant à l’après JC, et que Rome est devenue un empire.
Cependant, si c’est à Rome que l’art du satire a culminé, c’est aux Grecs, notamment avec Aristophane, que l’on doit les premiers textes satiriques ! Rien d’étonnant pour celui ou celle qui est familier de la mythologie grecque, véritable manuel d’insolence. Dans les mythes, l’autorité des dieux et déesses ne cesse d’être contestée, comme avec Prométhée, qui vole le feu de l’Olympe à la barbe de Zeus pour l’offrir à l’humanité.
Pourtant, je suis à peu près sûre que vous seriez incapable de me citer le nom du dieu de la critique et de la moquerie. C’est normal, car l'Histoire a oublié son nom. Avait-il, lui aussi, été convoqué à entretien préalable en vue d’une éventuelle sanction disciplinaire ? C’est ce que nous allons voir aujourd’hui !
Ce dieu s‘appelle Mômos.
Oui, avec son nom à coucher dehors, si vous l’aviez déjà croisé, vous vous en souviendrez. Pourtant, Mômos n’est pas un produit de mon imagination, il est même évoqué par Hésiode dans sa Théogonie, comme fils de Nyx, la nuit. Chez Hésiode, puis dans les mythiques Chants Cypriens, Mômos est présenté comme le dieu du sarcasme. Même Platon ou Sophocle le citent, sans jamais, il est vrai, faire de lui un protagoniste. C’est un peu plus tard, avec Lucien de Samosate, que Mômos trouve son champion, au temps où tout le territoire grec est dominé par l’Empire Romain, au temps justement où Rome se régale des Satires d’Horace.
Gravure représentant Lucien de Samosate, d'après le Britannique William Faithorne.
Lucien est un auteur grec… d’Asie Mineure puisqu’il est né à Samosate, au sud de l’actuelle Turquie. Et il est peu de dire que rien ne destinait ce Syrien d’origine modeste à devenir un grand poète. D’ailleurs, son père avait une toute autre idée en tête : le petit Lucien sera sculpteur, comme son oncle ! Mais le jeune garçon rêve en grand, grand comme l’Acropole d’Athènes. Alors il embrasse ses parents et quitte sa province, bien décidé à empoigner la vie. Adieu l’Euphrate, direction la Gaule puis Athènes qui le fascine tant.
Hélas, quand il arrive sur l’Agora, malgré sa grande culture hellénique, il est traité en étranger, rejeté par ceux qu’il veut appeler ses pairs. Il repense à ses leçons sur la grande démocratie athénienne, à sa déception d’enfant de n’en avoir pas été le contemporain. Il comprend sa naïveté : eut-il été là, il aurait fait partie de celles et ceux qui ne prennent pas part à l’Ecclésia. Alors comme un défouloir, Lucien met en scène cette fameuse démocratie directe. Cette belle idée qui mérite bien d’être un peu écorchée. Sur l’Agora cette fois, ce sont Zeus, Apollon ou encore Mômos qui examinent et votent les lois.
Mon récit du jour s’inspire de différents poèmes de Lucien ainsi que des Chants Cypriens, ce poème perdu dont nous reparlerons plus tard.
Prenez place, les débats vont bientôt commencer.
Ce jour-là sur l’Olympe, la foule est compacte et autour du banquet, une cohue bruyante s’agite. Héra se faufile pour se servir une coupe de nectar, hélas, les pichets ont tous été déjà vidés. Hermès s’approche pour prendre sa place au premier rang mais les sièges sont déjà occupés.
Dieux et déesses olympiennes se regardent : il est temps de mettre de l’ordre dans cette nuée de semi-divinités qui bourdonne autour d’eux, sans égards pour celles et ceux qui étaient là depuis le début ! Une sélection nécessaire pour rétablir, enfin, le prestige de l’institution. Car comment se faire respecter des mortels si n’importe qui peut acquérir le statut tant convoité de citoyen du ciel ?
Le banquet des Dieux de Hendrick van Balen nous donne une bonne idée de la décadence qui pouvait régner sur le mont Olympe...
Mômos prend la parole.
« Vous regrettez le bon vieux temps où l’Olympe était réservé à une élite ? Vous vous plaignez sans pointer le doigt ? C’est que vous savez comme moi qui en est le responsable. J’aurais, contrairement à vous, le courage de dire tout haut ce que vous pensez tout bas : c’est Zeus en personne qui est le coupable de ce désordre ! Toi et ta passion incontrôlée pour les femmes humaines ont fait naître une quantité de rejetons. Tous ces demi-dieux, qui sont demi-humains à mes yeux, polluent notre assemblée. La plupart par leur simple présence, d'autres par leur puanteur ! Oui, je parle de toi Dionysos, dieu de l’ivresse et fils de la mortelle Sémélée. Tu te balades sur Terre avec ton cortège d'ivrognes, imbibé par la vinasse dès les premières lueurs du jour. Entouré de tes Satyres, ces êtres lubriques et bons à rien, tu nous fais honte ! »
L’assemblée frissonne. Toutes et tous connaissent l’humeur volcanique du roi des dieux et son affection presque maternelle pour ce fils, Dionysos, qu’il a porté dans sa cuisse. Pourtant, Zeus, loin de se fâcher, semble s’amuser de cette attaque. L’hygiène de Dionysos peut, il est vrai, laisser à désirer… Mais s’il ne s’inquiète pas que son autorité soit si publiquement raillée, son cœur de papa craint pour son autre fils préféré : Héraklès. Il interdit alors à Mômos la moindre critique pour ce dieu qui a tant prouvé sa valeur.
Un sourire se dessine sur le visage de Mômos.
« Si je ne peux m'attaquer à ton fils Heraklès, c’est donc à toi directement que je dois adresser mes accusations ! Tu te plains de l’immoralité de l’humanité ? Mais c’est toi-même, pauvre roi de pacotille, qui donne le mauvais exemple ! Uniquement guidé par tes pulsions primaires, tu te métamorphoses tour à tour en taureau ou en pluie d’or pour arriver à tes fins libidineuses. Tu finiras immolé sur l’autel ou en lingot d’or si tu continues comme ça. »
Des rires parcourent la salle, Mômos, ravi de son effet, poursuit.
« Au lieu de jouer à l’humain, il te faut plutôt prendre des mesures strictes pour t’en débarrasser. Car non seulement ces mortels sont tous plus dépravés les uns des autres mais ils sont aussi de plus en plus nombreux. La Terre nous implore de la soulager et tu restes les bras croisés ? Heureusement, mon bon roi, j’ai une solution pour toi !
...