Le 1er décembre dernier, Joe Biden, président en exercice pour encore quelques semaines, prend la décision de gracier son fils Hunter (malgré sa promesse de ne pas le faire), reconnu coupable de détention illégale d’armes et de fraude fiscale. Petit séisme chez les démocrates, déjà pas très en forme, à qui il ne restait pas grand chose d’autre que l’espoir d’être le camp de la vertu face au népotisme de Trump. C’est raté.
Le père a vaincu le président.
Cette affaire aux accents tragiques, terriblement humaine et terriblement politique, agite nos imaginaires. Qu’aurions-nous fait à sa place ?
Aurions-nous laissé ce fils si fragile, ancien toxicomane, qui a courageusement repris sa vie en main, aller en prison ? Après avoir perdu une fille de 13 mois d’un accident de la route en 1972, un fils de 46 ans d’un cancer du cerveau en 2015, aurions-nous risqué de perdre encore un enfant ?
Fort heureusement, à sa place, nous n’y sommes pas. Quelle chance ! Une chance que n’a pas eu un certain Agamemnon, le roi des rois grecs en personne, sommé, lui aussi, de choisir entre son enfant et son honneur de roi. Que va-t-il décider ? C’est notre histoire du jour !
Une histoire sur la difficulté de l'exercice du pouvoir qui résonne d’ailleurs aussi très bien de notre côté de l’Atlantique, à l’heure où chaque décision est paralysée par des vents contraires. Si vous vous inquiétez de l’impossibilité de faire avancer notre pays dans un sens (ou dans l’autre), Homère et Eschyle vous offrent le récit d’un dilemme autrement plus compliqué que celui du budget de l’État français.
La colère d’Achille de Jacques-Louis David (1819). Agamemnon est à droite, vous en dire plus sur ce tableau serait divulgacher le reste de cette lettre.
Agamemnon. Quel nom mythique et terrifiant ! Un nom que l’on imagine assez mal porté par un petit enfant joufflu, n’est-ce pas ? Vous ne croyez pas si bien dire, car de son enfance, Agamemnon n’en a pas tellement profité. Il était haut comme trois pommes quand son père Atrée a tué sa mère Érope pour la punir de son adultère avec son beau-frère Thyeste, le frère d’Atrée donc. Et pour ses dix ans, Agamemnon assiste au banquet de réconciliation entre Atrée et Thyeste, au cours duquel Atrée sert à son frère ses enfants à dîner, avant de lui présenter les petits pieds et petites mains découpées. Une ambiance un peu sordide, somme toute, dans laquelle grandissent Agamemnon et son frère Ménélas.
Mais malgré l’exemple désastreux de relation fraternelle laissé par leur père, les deux frères s’adorent. D’ailleurs, ils se font le serment de toujours rester solidaires. Parole d’Atride !
Les années passent, Agamemnon hérite du trône de Mycènes. Ménélas, lui, devient bientôt roi de Sparte grâce à son mariage avec la belle Hélène.
Un peu trop belle, Hélène ? C’est ici que tout dérape. Le jeune Pâris enlève Hélène et Ménélas, furieux, exige que tous les rois de Grèce l’accompagnent à Troie.
Hélène de Sparte monte dans un bateau pour Troie sur une fresque de Pompéi
Seulement cette guerre, Agamemnon s’en serait bien passé. Le motif est un peu léger mon frère, commence-t-il. Une simple querelle d’amoureux ! D’ailleurs, le roi de Mycènes est loin d’être le seul à tenter de se dérober : Achille se cache, déguisé en femme, à la cour de Lycomède quand Ulysse simule la folie à Ithaque.
Mais Ménélas est têtu. Alors Agamemnon, qui n’a pas oublié la promesse faite à son frère temporise : il envoie un messager à Priam, souverain de Troie, lui demandant des explications. Le pauvre roi n’y comprend rien, son fils Pâris est encore en chemin. Il n’est au courant de rien ! Pendant ce temps, Ménélas alerte tous les autres rois : si ce rapt reste impuni, ce sont vos femmes à vous, que l’on viendra bientôt voler ! Face à cette terrifiante menace, tous acceptent illico de risquer leurs vies en Asie mineure. Chacun son sens des priorités. Alors Agamemnon se résout : il prendra la tête des mille navires grecs. La guerre de Troie aura bien lieu.
C’est à Aulis en Béotie que s’organise le grand départ. Dans les embarcations, des kilos de blé, des litres du meilleur vin offert par Apollon, et des milliers d’hommes prêts à en découdre.
Seulement, les vents contraires bloquent les navires au port. Mille bateaux amarrés dans la petite ville d’Aulis, ça fait désordre. Ulysse s’impatiente. Agamemnon s'inquiète.
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