Bonne nouvelle, Cassandre

Quand la mythologie grecque résonne avec le monde d’aujourd’hui

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Par Manon Desportes
25 févr. · 5 mn à lire
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L’autre, c’est moi

L'imitation est-elle vraiment la plus sincère des flatteries ?

Quand le président des États-Unis en personne appelle, en général, on répond. Démocrate ou pas, c’est quand même pas tous les jours que l’on a Joe Biden au téléphone. Cette voix traînante, c’est la sienne, vous l’avez entendue cent fois à la télé ! Alors quand il vous demande expressément de ne pas aller voter aux prochaines primaires pour “conservez votre vote pour les élections de novembre”, vous êtes étonné, mais qui êtes-vous pour contredire le président de la première puissance mondiale ?  

Le souci, c’est que ce bon vieux Joe n’a jamais pris son téléphone fin janvier 2024 pour appeler des électeurs du New Hamphire. Cette voix, plus vraie que nature, a été produite par une intelligence artificielle, ces fameuses IA qui font dire ou faire à quelqu’un absolument ce que l’on veut. Et dire que la campagne américaine ne fait que commencer…

Vous avouerez que les IA, cela fait quelque temps déjà qu’elles n’ont plus trop la côte. Il faut dire que quand on entend parler de deepfake et autres hypertrucages générés par ordinateurs, c’est plus souvent pour leur exploitation incontrôlée par arnaqueurs et pornographes du monde entier que pour nous annoncer la découverte d’un vaccin contre le cancer. 

Alors face aux progrès spectaculaires des IA quand il s’agit d’imiter les humains, une seule solution s’offre à nous : appeler à la rescousse la mythologie qui, ça tombe bien, regorge d’histoires d’usurpation d’identité. 

Allons-nous découvrir que robots et dieux sont les deux faces d’une même pièce ? 

Bien entendu, le saint patron de la duperie, c’est le roi des dieux, Zeus en personne. Pour arriver à ses fins, prendre l’apparence de quelqu’un d’autre ne lui pose aucun problème moral, comme lorsqu’il prend les traits d’Amphitryon pour partager le lit de sa femme, Alcmène. Moins célèbres en revanche sont les mythes qui le mettent en scène non pas en coupable mais en victime ! Et quand c’est son identité à lui que l’on usurpe, son sens de l'humour est très, mais alors, très limité.

Place au mythe !

Jupiter et Alcmène, Gravure de Nicolas TardieuJupiter et Alcmène, Gravure de Nicolas Tardieu

Les premiers instants d’une rencontre amoureuse ! Les papillons dans le ventre, les mots sucrés d'enfants, et les petits noms susurrés. Quand Alcyoné, fille du maître des vents Éole (rendez-vous en fin de lettre pour en savoir plus sur cette famille) rencontre Céyx, roi de Trachis, c’est le coup de foudre immédiat. Alors sans plus attendre, le roi organise pour sa future reine un superbe mariage, le bonheur n’attend pas ! Pendant la noce, Alcyoné chuchote à l’oreille de son époux “mon roi, il me semble que le monde tourne autour de notre bonheur”. Contrairement à son frère Sisyphe, celui qui devait éternellement rouler son rocher en haut d’une montagne, Alcyoné, il est plutôt facile de l’imaginer heureuse. Parce que tomber amoureuse c’est bien, mais tomber amoureuse d’un roi c’est encore mieux. Dès le mariage conclu, roi et reine s’installent au palais et s’apprêtent à régner gaiement sur Tharcie en Thessalie, au nord de la Grèce. 

Coquetterie d’amoureux, ces deux-là s'appellent entre eux Zeus pour lui, et Héra pour elle. Pour plaire aux nouveaux maîtres des lieux, au palais, les suivants et suivantes jouent le jeu et c’est bientôt toute la province qui prend l'habitude d'appeler Alcyoné et Céyx par les noms du roi et de la reine de l’Olympe. 

Un simple jeu qui n’est pas au goût de Zeus et d’Héra.

Céyx et Alcyoné du sculpteur allemand Johann Benjamin ThomaeCéyx et Alcyoné du sculpteur allemand Johann Benjamin Thomae

Céyx, fils de l’astre du matin, est à mille lieues de se douter de l’irritation divine. Il faut dire, Céyx, c’est un gentil, pas belliqueux pour un sou. D’ailleurs, il se fait un devoir d'accueillir les bras grands ouverts les étrangers. Pelée, roi voisin et père d’Achille, qui s’est mis en mauvaise posture (mais c’est une autre histoire !) en profite et vient demander à Céyx son hospitalité. Seulement ce dernier arrive au mauvais moment : le roi est accablé par le deuil de son frère, Dédalion, qui vient d’être transformé en rapace par Apollon. Or Dédalion est aussi colérique que son frère est doux et il continue, sous la forme d’un épervier, de terroriser la région. Convaincu que quelque chose ne tourne pas rond, Céyx décide de prendre la mer pour aller consulter les oracles. Une toute première séparation pour nos monarques décidément très fleur bleue. Alcyoné le supplie de rester, la mer lui fait peur, et elle refuse d'être loin de lui. Mais sa décision est prise. Le cœur lourd, Céyx fait ses bagages. 

Zeus et Héra sautent sur l’occasion pour lui donner une bonne leçon. Il a voulu se faire passer pour le roi des dieux ? Voyons s’il peut affronter leur colère ! 

C’est Ovide qui décrit le mieux le naufrage du bateau du pauvre Céyx au livre XI de ses Métamorphoses. Face aux bourrasques divines, Céyx et son équipage sont impuissants. Le roi meurt en prononçant le prénom de son épouse et en se félicitant, surtout, qu’elle soit restée à terre. 

Pendant ce temps, au Palais, Alcyoné se meurt d’inquiétude. Chaque jour, elle prie Héra de faire revenir son mari sain et sauf. La déesse, prise de remords, est un peu mal à l’aise de recevoir toutes ces prières pour un homme qu’elle sait décédé. Elle fait alors appel à Morphée et lui demande de prévenir Alcyoné de la mort de Céyx dans son sommeil. Le thème du déguisement revient à cet instant du mythe, mais cette fois pour la bonne cause ! Morphée, adroit imitateur de la figure humaine, prend les traits de son époux. Barbe hirsute, trempé, Céyx apparait à sa femme sous les traits d’un homme qui a souffert. Il lui annonce la terrible nouvelle : je suis mort. L’imitation est parfaite. Alcyoné se réveille en sursaut. 

Morphée en Céyx, apparaissant à Alcyoné, gravure de Antonio Tempesta (1606)Morphée en Céyx, apparaissant à Alcyoné, gravure de Antonio Tempesta (1606)

Elle se précipite alors vers le ponton, dernier lieu où elle a vu son mari vivant. Au loin, une forme flotte sur la mer calme. Elle se rapproche et Alcyoné devine un naufragé. C’est seulement quand le corps arrive à son niveau qu’elle reconnait le cadavre de son mari. Dans un élan suicidaire, Alcyoné s’élance de la jetée pour le retrouver. Mais au lieu de se briser contre la digue, elle frôle l’eau et s’élance vers le ciel. Héra a eu pitié d’elle et l'a transformé en oiseau. Elle se pose sur le cadavre de son mari et tente de l’embrasser avec son bec si peu destiné aux baisers. La scène, pathétique, a le don d’émouvoir la déesse une seconde fois. À son tour, Céyx se métamorphose en oiseau et reprend vie. 

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