Bonne nouvelle, Cassandre

Quand la mythologie grecque résonne avec le monde d’aujourd’hui

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Par Manon Desportes
28 janv. · 4 mn à lire
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Cassandre un jour, Cassandre toujours

Adieu Adravasti, bienvenue Cassandre !

C’est le grand retour de ma lettre ! 


Pendant huit années, à travers la lettre d’Adravasti, les dieux et déesses ont accompagné mes écrits et ma vie. De jeune entrepreneure à jeune maman, Déméter, Hermès et Leto m’ont servi de guides parfois, de repoussoirs souvent. Alors quand j’ai décidé d’arrêter la vente d’huile d’olive, j’ai su tout de suite que la lettre qui l’accompagnait, elle, était vouée à durer. Adieu les oliviers, on se retrouvera, Kessel (la plateforme qui envoie cette lettre-ci) est notre nouvelle agora !

« Bonne nouvelle, Cassandre », c’est le nom de la nouvelle version de ma lettre, cette fois entièrement dédiée à la mythologie. Une fois par mois, je vous ferai découvrir des mythes, souvent méconnus, pour mieux appréhender l’actualité. 

Et pour commencer, je n’avais d’autre choix que de m’intéresser au mythe de mon héroïne éponyme : Cassandre, évidemment !

Cassandre implorant la vengeance de Minerve contre Ajax de Jérôme-Martin LangloisCassandre implorant la vengeance de Minerve contre Ajax de Jérôme-Martin Langlois

"Certains prédisent le pire. Il ne faut jamais céder aux Cassandre.” 

Ces mots sont ceux d’Emmanuel Macron, prononcés à son gouvernement le 28 août 2017 après seulement trois mois de présidence. 

Il ne faut jamais céder aux Cassandre, vraiment ?

Lieu commun du discours médiatique, Cassandre est, en 2017 comme en 2024, utilisée à toutes les sauces, en particulier celles qui visent à décrédibiliser et à démentir. Pourtant, en regardant le mythe de plus près, ne faudrait-il pas, bien au contraire, se mettre à écouter les Cassandre qui nous entourent ? 

C’est à ce caractère péjoratif qui colle aux baskets de Cassandre que je vais m’attaquer aujourd’hui pour que, à la différence de notre habituellement lettré Président, vous n’utilisiez plus jamais ce prénom à mauvais escient. 


Place au mythe !

C’est l’histoire d’une princesse troyenne. Belle, riche et bien née, elle attire tous les regards, à commencer par celui du plus beau de tous les dieux, Apollon. Celui-ci lui propose un marché : il lui promet le don de prophétie si elle accepte de s’unir à lui. La jeune femme commence par accepter, avant de se rétracter. Non, cet Apollon ne lui dit rien qui vaille. Le dieu, que l’on sait très colérique, est fou de rage. Sournoisement, il semble accepter ce revers et réclame seulement un baiser, un simple baiser. Alors qu’elle se penche pour le lui accorder, Apollon en profite pour lui cracher dans la bouche : désormais, Cassandre est condamnée à prédire l’avenir sans que personne ne la croit ni ne l’écoute. 


Nul(le) n’est prophète en son pays ? 

Les premières apparitions de Cassandre dans la littérature antique s’intéressent peu à ses visions. Ils mentionnent surtout sa grande beauté et le fait que tout un tas de prétendant se ruent à Troie pour obtenir sa main. Chez Homère, pour commencer, sa présence est discrète et son don de prophétie n’est jamais explicité. Une querelle de traducteurs (que je vous épargnerai ici, le monde est déjà bien assez violent) porte sur une scène en particulier de l’Iliade : Cassandre aperçoit la première le char de son père Priam qui ramène le corps sans vie de son frère Hector. Si certaines traductions font le choix de lui accorder la capacité de voir ce qu’aucun autre ne voit, d’autres préfèrent lire chez Homère la simple clairvoyance d’une fille et sœur capable de reconnaître son père et son frère, même dans la pénombre. 

Eschyle ou encore Euripide font d’elle une star de la tragédie mais c’est avec Virgile et son Énéide, sept siècles après Homère, que l’on obtient un récit complet de son implication dans la guerre de Troie. 

Mais en relisant Virgile, je m’interroge. Cassandre, prophétesse… ou simplement lucide ? 

Jugez-en par vous même : 

Précédemment dans « La Guerre de Troie » : Après un siège de dix ans, les Grecs, sur les conseils d’Ulysse, font semblant de quitter Troie et déposent un immense cheval de bois devant les portes de la ville. Les Troyens et leur roi Priam y voient un cadeau à destination du culte d'Athéna et décident de faire entrer l’énorme structure au sein de leurs enceintes fortifiées. 

Quand Cassandre découvre le cheval, elle est la première à avertir du danger. Mais elle n’est pas la seule à s’inquiéter. Laocoon, prêtre et devin, supplie aussi ses concitoyens :  « insensés, n’ayez jamais confiance en un grec, même s’il vous apporte des présents ! ». Il jette alors sa lance dans le flanc du cheval et un bruit d’armes qui s’entrechoquent résonne de l'intérieur de la bête. Pourtant, malgré l’avertissement de Cassandre et la démonstration de Laocoon, Priam et ses suivants décident d’aller au bout de leur entreprise inconsciente. Vous connaissez la suite : la nuit venue, les Grecs cachés à l’intérieur de l’animal en bois mettent le feu à la ville. Game over. 

Racontée de cette façon, vous conviendrez que c’est plus l’incroyable naïveté de Priam qui saute aux yeux que le talent divinatoire de sa fille. 

La procession du cheval de Troie par le peintre venitien Giovanni Domenico Tiepolo (1760)La procession du cheval de Troie par le peintre venitien Giovanni Domenico Tiepolo (1760)

Il y a une version, assez mystérieuse, du mythe que j’aime assez. C’est celle du mythographe Aticlide, cité dans les scholies à l’Iliade (nom savant pour parler des notes de bas de page ajoutées au Moyen-âge, qui se trouvaient d’ailleurs plutôt sur les côtés). La voici : 

Commençons par rappeler que comme Apollon, Cassandre n’est pas arrivée seule sur terre. Elle est la jumelle d’Hélénos et possède de nombreux, très nombreux frères et sœurs. Ses parents, Hécube et Priam n’ont en effet pas chômé : après leur célèbre aîné, le valeureux Hector et leur cadet d’égale renommée Pâris, la reine et le roi de Troie auront dix-sept autres enfants, qui, je l’espère n’étaient pas trop sujets aux otites. 

Cassandre et Hélénos arrivent en septième et huitième position et pour les parents, le parfum de la nouveauté n’est plus vraiment là. À peine nés, les jumeaux sont déposés dans le temple d’Apollon voisin pendant qu’Hécube et Priam partent fêter leur arrivée autour d’un fastueux banquet. Emportés par l’ivresse, les parents rentrent au milieu de la nuit titubant au Palais, oubliant les pauvres nouveaux nés. Ce n’est que le lendemain matin qu’Hécube revient à la raison et se précipite au temple. Mais en entrant, la reine est horrifiée :  des serpents sont en train de lécher les yeux et les oreilles de ses jeunes enfants. Elle pousse un cri d’horreur et les serpents partent aussitôt se dissimuler dans des branches de lauriers voisins. Or ces serpents sacrés d’Apollon, loin de vouloir du mal à nos deux chérubins, leur avaient en réalité ouvert l’entendement et transmis un don de prophétie. 

Dans cette version, nul coupable, si ce n’est la négligence des parents. 

Mais que je le veuille ou non, c’est bien la version impliquant le crachat d’Apollon qui est passé à la postérité. Quelle injustice pour notre pauvre princesse. Voilà sa vraie malédiction : désormais, et jusqu’à la fin des temps, « jouer les Cassandre » signifie “annoncer une mauvaise nouvelle”.

Si le thème de la jeune fille trop perspicace pour être sympathique vous est familier, c’est qu’il est omniprésent dans la fiction et qu’il façonne, encore aujourd’hui, nos imaginaires : l’Hermione de la saga Harry Potter, Jo des Quatre filles du Docteur March ou même Lisa des Simpson, les “madame-je-sais-tout” ont envahi la culture populaire. Et dans la réalité ? 

En 2024, le qualificatif Cassandre est loin d’être passé de mode. Devenu un poncif de l’écriture journalistique, il est toujours étonnant (pour nous autres qui connaissons le mythe) de constater que, très souvent, il est employé sous sa forme péjorative : l’attribut « Cassandre » dénonçant l’attitude de celui ou celle qui fait pas mal de bruit pour pas grand chose. C’est ce qui est arrivé récemment par exemple à l’activiste française Camille Étienne, comparée à notre troyenne dans un article peu flatteur du 3 janvier dernier de Valeurs Actuelles titré « Camille Étienne, écolo convenue ». 

Il est grand temps de libérer Cassandre de cette mauvaise réputation, innocente victime de l’aveuglement général !

Par mon intermédiaire, Cassandre aura ici enfin l’opportunité de nous réjouir, de nous apprendre des choses et peut-être même de nous faire rire. 

Je finirai par vous dire que c’est aujourd’hui mon anniversaire (35 ans !) et que je suis très heureuse de le fêter en votre compagnie. Cette lettre sera publiée tous les derniers dimanche du mois, comme une petite gourmandise à lire en pyjama quand le compte en banque est un peu vide et les envies d’échappées grandes. 

Client.e.s et ami.e.s d’Adravasti, vous avez été automatiquement inscrit.e.s à la version gratuite. Mais pour 2€ par mois, vous pouvez passer à la version payante. Elle vous donnera accès à la totalité de la lettre, quand la version gratuite n’en affichera qu’une partie. Pourquoi ce format payant ? Tout simplement car la vente d’huile d’olive ne venant plus subventionner cette lettre, il fallait trouver une compensation. Votre soutien me permettra de continuer à écrire et sera le plus beau de tous les cadeaux d’anniversaire.

À très vite, 



Manon